Je me réveille avec une humeur particulière : je me sens seul et j’ai envie de creuser cette solitude. Une certaine lenteur caractérise chacun de mes mouvements. Mon esprit est comme la météo du jour : brumeux. Jusqu’ici, tout allait bien. Je marchais gaiement sur le GR 34, me souciant peu de mes douleurs et appréciant tout ce que m’offrait ce périple de trois mois en Bretagne. Mais aujourd’hui, rien ne va plus. J’ai un coup de mou monumental qui est venu me réveiller. Une flemme totale de reprendre la marche, de mettre un pied devant l’autre. Je me questionne sur le sens de ce périple ? J’ai envie de tout envoyer valser, de m’étaler dans un lit douillet et d’attendre. Marre d’avoir chaud puis froid, de chercher tous les soirs un endroit où dormir, de marcher, de marcher et de marcher. Je sens que je m’épuise et qu’à ce rythme-là, je ne vais pas tenir. Mais rien que le terme « tenir » m’agace, je ne suis pas là pour tenir, mais pour prendre du plaisir, et ces deux derniers jours, je n’ai fait que râler. Ma douleur au tibia mobilise toute mon énergie. D’habitude, je ne lui porte guère attention, mais là, je n’arrive plus à la repousser. C’est drôle, car avant-hier, je me disais que je vivais ma meilleure vie, que ce que je vivais était exceptionnel. Mais aujourd’hui, incapable de positiver, les idées noires envahissent mon cerveau… Heureusement, je commence à me connaître. Dans ma vie de tous les jours, je passe également par ces phases de doute. Elles sont plus ou moins longues. Une journée, une semaine, parfois plus. C’est ainsi. J’ai appris à les accepter. Je les accueille et attends que ça passe. C’est surtout un signe qu’il faut que je me repose si je veux aller au bout de cette marche de trois mois. Mais, plus facile à dire qu’à faire.
Aux alignements de Carnac, je saute par-dessus une barrière pour me retrouver entouré de centaines de menhirs. L’atmosphère est particulière. Il n’y a que moi dans un brouillard dense. J’ai pourtant l’impression d’être observé. Est-ce les moutons qui broutent ? Ou bien les mégalithes qui de leur verticalité me scrutent l’âme ? Je m’allonge dans la mousse mouillée par la rosée et les contemple. Une légende raconte que chaque menhir représente un soldat de l’armée romaine transformée en pierre par le pape Saint Cornely. Il ne manquerait plus que je me fige moi aussi. Allez, en route.
Ben Mazué dans les oreilles, je me laisse entraîner par la musique « Quand je marche ». Que c’est agréable pour l’esprit que de marcher. Laissez les pas décider de mes pensées. Je traverse une forêt de pins à l’entrée de Quiberon. L’odeur des épineux imprègne l’air. Je m’adosse une heure au pied d’un arbre. La chaleur de ce début d’après-midi m’étouffe. Mon mental disjoncte : est-ce une bonne idée que de faire le tour de la presqu’île ? Je connais déjà Quiberon. Autant couper. Non. Fais taire cette petite voix Rémi. Allez, je repars. Trois kilomètres. Pause. J’en peux plus. Je peste contre ma jambe, contre mes hanches, contre mon corps qui n’est pas fichu de porter mon sac à dos sans douleur. Je repars. Un kilomètre. Repause. Cette fois-ci, je sors carrément mon duvet et m’y engouffre. Quitte à s’arrêter, autant faire une sieste et reprendre de l’énergie. Je m’endors en comptant les menhirs comme on compte les moutons : un, daou, tri, pevar, pemp (oui, je sais compter jusqu’à cinq en breton). Le soleil m’illumine et je trouve le sommeil illico.
- Monsieur, monsieur, vous allez bien ?
- Hein ? Quoi ?!
- On s’inquiétait, répond la première femme.
- Oui, on se demandait ce que vous faisiez, allongé en plein milieu du chemin.
- Ah bah je faisais une sieste…
C’est vrai que je n’ai fait aucun effort pour m’écarter du sentier. Je regarde l’heure : 18h. Je suis encore loin du centre-ville de Quiberon où je suis attendu. N’ayant aucune envie de faire le moindre effort, je lève le pouce et me fais prendre dès la première voiture. L’autostop, c’est tellement simple ! La conductrice m’avoue que je suis son premier autostoppeur. Eh bien, ravi de vous permettre de vous affranchir d’une peur. Ce n’est jamais facile pour une automobiliste femme que de prendre un homme dans sa voiture. J’arrive chez Élodie et Sylvain qui m’accueillent pour la nuit. Je ne suis pas trop d’humeur à sympathiser, mais nous voilà au bar en train de boire des bières. J’écoute les ragots de Quiberon sans dire mot. Je me laisse emporter par les conversations tout en observant par la lucarne un ciel rose-violet d’une intensité sans pareille. Je rêve de dormir sur un nuage.



