C’était une évidence hier, mais je ne le réalise que maintenant : je ne rattraperai jamais Ronan. Ça me contrarie, car marcher avec de la compagnie, c’est vraiment agréable. De nouveau seul, je marche sans trop apprécier la rivière d’Auray. Non que ce soit laid, je suis juste en mode automatique, perdu dans mes pensées. Je dévore un far breton au pied du vieux pont du Bono, un pont suspendu réservé aux piétons permettant d’apprécier la rivière du même nom. Des jeunes s’entraînent dans leur folie. Ils sautent frénétiquement du sommet tout en criant « YOLO » (You Live Only Once). Oui, on a qu’une seule vie, mais j’ai peur de sauter d’un plongeoir de trois mètres, alors quinze mètres, même pas en rêve.
La mer est à marée basse et le temps change subitement. Je remonte le long du fleuve vaseux au milieu d’une brume épaisse. Je ne vois pas l’autre versant. Des épaves en bois pourrissent ; l’ossature béante des bateaux se confond avec des carcasses d’animaux géants. J’ai l’impression d’être Simba dans Le Roi Lion et de déambuler dans le cimetière des éléphants. À un croisement, je tombe nez à nez avec une bonne sœur en tenue de messe :
- Ave ma sœur.
Elle fait sa promenade quotidienne autour de la chapelle Sainte-Avoye. Elle m’accompagne sur un kilomètre et m’apprend l’existence d’un autre tour de la Bretagne à pied : le Tro Breizh. Datant du Moyen-Âge, cette coutume consiste en un pèlerinage des Sept Saints de la Bretagne historique : Paul-Aurélien à Saint-Pol-de-Léon, Tugdual à Tréguier, Brieuc à Saint-Brieuc, Malo à Saint-Malo, Samson à Dol-de-Bretagne, Patern à Vannes et Corentin à Quimper. De quoi découvrir la Bretagne de l’intérieur. Je vais déjà finir le GR 34, on verra après.
Arrivé à Auray, je reconnais la ville : les ruelles pavées, le port de Saint-Goustan et ses montées. Je me fais plaisir avec un Breizh Cola avant d’être rejoint par Fleur qui m’héberge pour la nuit. C’est une amoureuse du GR 34 et elle profite de ses week-ends pour en explorer chaque tronçon. Quand Fleur arrive, elle n’est pas toute seule. La pluie l’a accompagnée. Ce sont des seaux d’eau en rafale qui s’acharnent sur nous. Cela faisait dix jours que je n’avais pas sorti mon K-way. À 19h, une journaliste de Ouest-France vient m’interviewer. Elle ne communique que trop peu d’enthousiasme et me déstabilise. Pourtant elle me sollicite deux heures plus tard pour les photos, et publiera un excellent article à mon égard.




