Moi qui voulais me lever tôt, c’est raté. Je sors de ma tente sur les coups de 10h. Je vais prendre mon temps ce matin. J’ai moyennement envie de marcher. On prend notre p’tit dej face à la mer avec Théo et Clémence, installés sur leurs chaises de camping. Ambiance vacances. Le soleil nous irradie de sa chaleur. Je pars tellement tard que j’ai le temps de faire sécher ma tente. Depuis le début du voyage, elle prend la condensation et la rosée du matin, et je la range mouillée. Je traverse les marais salants de Lasné sans grande motivation. Accompagné de Clémence, j’aurai torché ça en un rien de temps, mais là, je traîne…. J’ai l’espoir de couper le chenal de Saint-Léonard, mais je me retrouve les pieds dans la vase, pour ne pas dire dans la merde. Allez hop, demi-tour, on va rester sur le sentier. Après le village de Saint-Armel, je me retrouve sur un sentier impraticable ; il est complètement inondé. Pourtant, c’est bien le GR 34. J’ai de l’eau jusqu’aux chevilles. Je teste plusieurs passages, mais ma motivation à affronter ce petit obstacle est nulle. Je passe finalement par la route qui longe la nationale. C’est bruyant, c’est plat, c’est moche. Il me reste six kilomètres de ligne droite. Pourquoi m’imposer ça alors que je ne prends aucun plaisir ? Il suffirait de lever mon pouce pour abréger mes souffrances. J’hésite. Puis-je faire du stop pour m’avancer ? À vrai dire, je suis déjà hors sentier. Je suis venu là pour apprécier mon chemin, c’est mon périple, pas un record du monde, non, juste une marche, ma marche. Personne ne peut me dire si c’est bien ou mal. Je me convaincs de tendre le pouce. Bon choix. En moins d’une minute, me voilà dans la voiture de Jean-Michel :
- T’as déjeuné ?
- Non
- T’aimes les huîtres ?
- Jamais goûté.
- Quoi ?!
La minute d’après, il s’arrête devant un ostréiculteur ambulant. Me voilà en train de déguster une demi-douzaine d’huîtres avant de dévorer des galettes bretonnes. Il me remercie de passer ce déjeuner de Pâques en sa compagnie. Et moi donc ! Il y a une heure, j’avais des idées ternes, et là, je me régale en compagnie d’un sacré personnage. Dans sa jeunesse, Jean-Michel est allé à l’autre bout du monde dans sa 2 chevaux, à voyager à pied avec son âne, sans parler de sa passion pour le trail. Je prends cette rencontre comme un signe qui me dit : « Tu vois, pas besoin de suivre exactement le GR 34, suis ton chemin, c’est le bon ».
Le soir, je suis accueilli par Caroline et sa fille Élisa dans leur jolie maison. On ne se connaît pas, mais une complicité s’installe très vite. Pour ma venue, Caroline a invité sa famille à une soirée crêpes. L’impression de retourner chez mes grands-parents quand les billigs chauffaient à bloc. L’ambiance est chaleureuse, ça baragouine dans tous les sens. Les interrogations fusent pour l’inconnu que je suis. Ils auraient très bien pu me poser la question habituelle : « Que fais-tu dans la vie ? », mais ils préfèrent me demander : « Qui es-tu ? »
J’aime cette question, car elle est vaste. Elle permet de répondre à chaque fois différemment. Je parle de mon parcours et de mes choix professionnels. Fini le boulot de développeur web, je ne veux pas être derrière un bureau toute ma vie à faire des sites Internet pour des entreprises de parasols ou d’assurance auto. Non, je ne peux me résoudre à vivre cette vie-là. Je leur dis :
- Un gars qui a décidé de vivre ses rêves.
- Bravo ! Il en faut du courage.
J’ai envie de répondre que je ne me sens pas courageux pour un sou, que j’essaye juste de m’écouter et d’être aligné avec mes pensées. Mais je réponds :
- Je rêvais de vivre autre chose.
- Ce n’est pas anodin de prendre trois mois pour partir marcher, peu de personnes le font.
Faire le GR 34 est un rêve que je partage avec beaucoup. Les gens me demandent comment je fais pour prendre trois mois de pause dans ma vie. Mais c’est moi qui me demande comment on ne peut pas prendre trois mois pour soi ? Trois mois dans une vie, ce n’est rien. C’est insensé de me dire que quasi personne ne se le permet. Car honnêtement, ce n’est pas l’argent le problème. Je dépense en trois mois ce que des familles dépensent en une semaine de vacances. Le problème, ce sont nos vies trop encombrées. Elles sont faites de contraintes et d’injonctions, la liberté sous condition, on est coincés dans des schémas imposés par la société, conditionnés par nos peurs à rester dans notre confort. On se barricade dans nos certitudes, incapable de prendre du recul et de sortir des sentiers battus. On me répond parfois : « Mais, t’as pas d’enfant », « Mais, t’es jeune », « Mais, t’es en bonne santé ». Je pense alors à tous les voyageurs et voyageuses que j’ai eu la chance de rencontrer et qui m’ont prouvé que tout était possible si on le voulait vraiment. Samuel Marie, tétraplégique, a parcouru la moitié de la planète à bord de sa camionnette aménagée, Jean-Pierre Brouillaud a fait le tour du monde en stop alors qu’il est aveugle, Alizée et Jérôme ont traversé les Pyrénées à pied avec leur bébé Ariane, alors âgée de neuf mois ! Des exemples comme ça, j’en ai à la pelle. Alors, arrêtons de nous trouver des excuses. Si on veut vraiment quelque chose, travaillons pour que cela arrive, au risque d’avoir des regrets.




