Cette nuit, j’ai pris la décision la plus importante de ma vie de randonneur : je vais changer mes satanées chaussures ! Car difficile à admettre pour un aventurier de ma trempe, mais mes chaussures sont trop petites. D’ailleurs, on dirait plutôt des sabots tant elles sont dures. Pour être franc, la nuit je cauchemarde de mes pompes et chaque matin, je rechigne à les enfiler. Dès que je mets le pied dedans, je rouspète. Il me faut quinze minutes pour ne plus avoir mal, le temps que mes pieds chauffent. À la moindre pause, je me déchausse tant elles me compressent. Bref, elles me font vivre un enfer. Je pensais m’y faire, ou qu’elles se fassent à mes pieds, mais après dix jours, rien n’a changé. On n’est pas fait pour être ensemble, c’est comme ça. Cette rupture était inévitable.
Je profite d’être proche de Vannes pour me faire accompagner par Annie à Decathlon. Drôle de sensation d’être à 130 km/h sur une voie à grande vitesse. Moi qui marche habituellement à 4 km/h, ça me donne le vertige. Dès que j’arrive au magasin, je repère directement les élues de mes pieds : des chaussures de trail ultra souples et légères. C’est le jour et la nuit. J’ai l’impression d’enfiler des pantoufles en coton. Mon petit orteil ne cogne plus. Mes doigts de pied sont libres, liiiiiiiibres ! À moi le Mont Saint-Michel !
Je fais un p’tit détour par La Poste pour renvoyer mes sabots, et j’en profite pour me séparer de quelques affaires superflues. J’inspecte mon sac de soixante litres rempli à ras bord. J’ai surestimé mes besoins. Mes peurs ont conditionné mon sac à dos : peur d’avoir froid, d’avoir faim, d’être mouillé, d’être sale, d’être sans batterie, d’être normand. Je fais le point :
Pour le dodo : tente 1 place, sac de couchage 10 degrés, tapis de sol gonflable, couverture de survie pour survivre au cas où je-ne-sais-pas-quoi, je l’enlève.
Pour manger : couteau suisse, réchaud, popote, nouilles déshydratées, soupe et une gourde.
Pour filmer : 1 smartphone, 1 drone, 1 caméra, 1 trépied, chargeurs, 1 batterie portable. La lampe frontale et les deux batteries extra de ma caméra, je vire.
Côté vêtements : Je garde 1 K-Way (bah oui, je suis en Bretagne quand même), 1 short, 1 legging, 1 pantalon ultra léger, 1 veste chaude. Je vire une polaire, 2 caleçons, 2 paires de chaussettes, 1 t-shirt pour n’avoir que 2 de chaque. Je ferais des lessives plus souvent.
Côté hygiène : brosse à dents, dentifrice, savon dur, 2 dolipranes (faut jamais être trop prudent), 1 smecta, 1 ventoline pour respirer quand je fais mes crises d’asthme, 1 aiguille pour percer mes ampoules et 1 pince pour retirer les échardes quand je marche pieds nus. Pas besoin de déodorant, je sentirais mauvais des aisselles.
Finalement, je gagne deux kilos et demi. Pas mal.
Je pars sur les coups de midi en direction de Saint-Gildas-de-Rhuys. J’ai la sensation de marcher sur des nuages tellement mes chaussures sont agréables. Et dire qu’il suffisait de changer de pompes. Je fais une sieste au pied de Notre-Dame-de-la-Côte qui a quasiment les pieds dans l’eau. Au sommet de cette charmante chapelle blanche : Notre Dame qui scrute l’horizon. La légende raconte qu’elle veille sur les marins qui l’admirent. Peut-être aussi sur les randonneurs, qui sait. Quelques kilomètres plus loin, je découvre le château de Suscinio entouré de marais. De nombreux oiseaux pataugent au milieu des joncs : cormorans, aigrettes, grues, limicoles, avocettes, gravelots. Dans un amas d’aubépines fleuries, j’observe un gorgebleue, un passereau identifiable facilement grâce à… (vous ne devinerez jamais !) à sa gorge bleue. Il ne faut pas chercher loin pour trouver des noms d’oiseaux. Derrière l’étang se dresse un pin où jonchent une dizaine de cormorans séchant leurs ailes au grand air. Je continue sur dix kilomètres jusqu’au port de Saint-Jacques. J’y ai repéré une crêperie. Je salive à l’idée d’un cidre frais et d’une bonne galette. Manque de bol (breton), c’est fermé. Je mangerai mes œufs durs avec une délicieuse eau de gourde. Je campe sur un terrain abandonné dans les bois avec vue sur la mer. Je ne peux pas faire mieux comme emplacement. Après le coucher de soleil, je m’endors au son des vagues.