Le froid est venu me piquer dans mon sommeil. Je suis tout collant des crèmes anti-inflammatoires que je me suis appliquées avant de m’endormir. Grand ciel bleu, le chemin plat se soustrait à du dénivelé. Ce ne sont pas les Alpes, mais pour une fois, je sens que ça tire dans les mollets. Des falaises se dessinent peu à peu. Les fleurs sont de sortie et offrent un éventail de couleurs à faire rougir un arc-en-ciel : le jaune des ajoncs, le rose de l’armérie maritime, le blanc des queues-de-lièvre, le violet de la giroflée des dunes, le tout contrastant avec une mer turquoise. Je parviens à la croix du Grand Mont qui offre un panorama sur l’Atlantique. J’observe la presqu’île de Quiberon sur ma droite, l’île d’Houat et de Hoëdic à ma gauche, et au plus loin de l’horizon, c’est Belle-Île-en-Mer qui pointe timidement le bout de son nez. Pensée au duo Alain Souchon et Laurent Voulzy.
J’ai mal géré mon approvisionnement en eau et me retrouve à sec pendant deux heures. Aucune fontaine publique à l’horizon, et les habitations me semblent trop lointaines. J’ai la flemme de sortir du sentier pour aller toquer à une porte. Je crois trouver la solution en léchant mes aisselles en sueur, mais c’est un peu trop salé. Je longe la Plage de Kerver, où un homme debout, nu et queue à l’air — et non en l’air — me salue. C’est une plage nudiste. Je reçois un texto d’Annie « J’ai retrouvé ton caleçon dans le lave-linge ». Je n’ai que trois caleçons et je ne m’en étais même pas rendu compte, c’est pour dire à quel point mon hygiène est déplorable. Je devrais peut-être faire comme ce nudiste et marcher nu. Ça me ferait moins à porter.
Ce soir, je dors au Miramar, hôtel spa cinq étoiles. Ce n’est pas le genre d’hôtel où je crèche habituellement — 400 euros la nuit, c’est mon budget pour un mois — mais ils m’ont invité. Je ne vais pas refuser ! Un employé de l’hôtel me suit sur les réseaux sociaux et a suggéré à son responsable de m’héberger généreusement. C’est marrant de débarquer dans cet univers de luxe. Je fais tomber la tenue de randonneur pour un peignoir aussi doux que mon cœur de loveur. Je rêve qu’on me malaxe la voûte plantaire, qu’on me badigeonne d’huile de massage, et qu’on prenne soin de mes muscles tiraillés. Mes jambes sont lourdes, les mollets durs et mes tendons tendus. J’ai fantasmé toute la matinée ce moment de pure relaxation. Malheureusement, aucune masseuse n’est disponible. J’ai quand même l’accès intégral au spa. Je barbote dans les bains à remous, profite des sièges massants et des jets d’eau puissants. Je somnole dans le sauna avant de prendre une douche gelée, c’est bon pour la circulation du sang, paraît-il. Cela fait du bien d’avoir du temps pour soi et de ne pas courir. Je prends un énième bain dans ma chambre, lessive tous mes vêtements dans l’évier avant de les étendre accrochés à des cintres. Quand vient l’heure du dîner, je sors mon réchaud sur la moquette pour me cuire des nouilles déshydratées en plein milieu de ma chambre. Le contraste m’amuse beaucoup. Un pouilleux cramé par le soleil dans une chambre de luxe où pendent mes affaires. Au plafond, un détecteur de fumée me fait abandonner mon projet de peur de faire évacuer tout l’hôtel. Je me demande pourquoi les gens aiment ce genre de lieu si on ne peut même pas faire cuire des nouilles dans sa chambre.
Je dîne finalement dans une crêperie sur le port du Crouesty. Je pars sur une galette œuf-fromage. Rien d’extra. Resto à touristes. Le serveur se trompe dans ma commande. Il m’offre un pichet de cidre en compensation. Pompette, je retourne dans ma chambre. Je ressens de la solitude. Dehors dans la Nature, je me sens vivant, mais là, au milieu de tant d’indécence, je ne me sens pas à ma place. Je préfère la simplicité d’une nuit de bivouac en pleine nature à l’extravagance de ce genre de lieu. J’allume la télé, elle ne m’avait pas manqué celle-là. Je l’éteins illico. La couette est la couette la plus moelleuse que je n’ai jamais eue. Au moins, je n’aurai pas froid cette nuit.






