Nuit calme, pas eu froid. Il fait encore nuit, mais impossible de savoir l’heure. Plus de batterie dans le téléphone. C’est assez déroutant. Je n’ai ni carte, ni topoguide, ni GPS. J’ai voulu faire léger, me voilà bien embêté. Je vais suivre les traces blanches et rouges du GR 34, comme je l’avais fait en Corse lors du GR 20. Ces Grands Sentiers de Randonnées sont bien balisés. Tous les quinze mètres environ, deux traits horizontaux blancs et rouges m’indiquent que je suis sur la bonne voie. Quand il faut tourner, une flèche indique la direction. S’il n’y a aucune signalétique ou si c’est une croix, c’est que je me suis trompé. Ça arrive plus souvent qu’on ne le pense, même si là, il suffit de longer la mer pour ne pas se perdre.
Sans téléphone, je me sens déconnecté et c’est appréciable. Je n’ai aucune idée du nombre de kilomètres que je parcours ni de l’heure qu’il peut bien être. Un cormoran fait sécher ses ailes au vent sur un rocher au milieu de l’eau. On dirait Batman qui scrute la ville du haut de son perchoir. Des mouettes volent en stationnaire en attendant qu’un poisson se présente. Le vent balaye les nuages et après une légère éclaircie, amène un crachin. À peine le temps d’enfiler mon coupe-vent que le soleil revient. Il faut que je pense à le rendre plus accessible. Un arc-en-ciel éclaire la baie du Croisic. J’alpague un groupe de randonneurs vétérans. De vieux Bretons qui ont gardé leur âme d’enfant. Ils en ont crapahuté des bouts du GR 34, mais jamais la totalité. Ils me promettent quelques tempêtes et de magnifiques paysages dans le Finistère. Je continue jusqu’au port du Croisic où je pose mon baluchon dans une crêperie qui vient tout juste d’ouvrir ses portes. J’aime les débuts. On sent les deux patrons animés d’une envie de bien faire, de réussir leur aventure entrepreneuriale. Tout est nouveau pour eux, tout est découverte. Je repars chargé à bloc après une bonne galette complète, une petite beurre-sucre, du cidre, et puis une crêpe dessert avec chantilly, glace vanille et pommes caramélisées. Oui, je suis gourmand ! J’en reprendrais bien une autre d’ailleurs, mais la pluie n’attend pas.
Je continue de suivre les traces du GR quand tout à coup, j’ai une impression de déjà-vu. Mais ! Je le connais ce rond-point, et cette route aussi ! Et pis cet arbre, on dirait le même que… ce matin. Oui, je confirme, c’est bien le même arbre ! J’ai marché toute une matinée pour finalement revenir à mon point de départ : Batz-sur-Mer. Normal me direz-vous, Le Croisic est une presqu’île. Ah si j’avais su, j’aurais caché mon sac dans un bosquet pour le récupérer plus tard. Parce que mon sac, il commence à peser un cachalot mort ! Surtout que j’ai fait quelques emplettes : pâte d’amandes, noisettes, bananes, chocolat, nouilles déshydratées, lentilles, ballon de foot, détecteur de métaux, haltères, l’encyclopédie illustrée du Petit Breton, etc. Je dois être à dix-sept kilos sur les épaules, ce qui correspond à une torture. Le sentier jusqu’à Guérande est pour le moins décevant. Moi qui pensais sillonner les marais salants, je me retrouve à longer une départementale. Berk ! Je veux du vert, du bleu, de l’indigo, du rose, donnez-moi de la couleur, pas du gris bitume.
Ce soir, je ne vais pas dormir dans ma tente, je le sais. Je veux tellement dormir au chaud et prendre une douche que rien ne peut m’arrêter. Ayant la flemme de toquer aux portes pour me prendre vent sur vent, je poste un message sur un groupe Facebook dédié à la Bretagne pour demander l’hospitalité. David me répond positivement dans la foulée. À 18h, il me récupère près du lycée de Guérande :
- Je rentrais du boulot et j’ai vu ton annonce. Avec la pluie, je me suis dit « Oh le pauvre ! » et vu que j’ai une chambre de libre, je t’ai contacté directement.
Il n’imagine pas à quel point ça me fait plaisir. À 18h30, me voilà sous la douche en train de me savonner. Les odeurs agressent mes sens. Trois jours sans se laver, ça fait un bien fou. Au lavabo, je nettoie mes affaires qui dégagent une odeur d’épices. Merci les nouilles goût Curry. Nous passons la soirée à discuter autour d’un verre de whisky et de cacahuètes. David me partage sa vie de père séparé, son métier d’ouvrier et sa reconversion. Je vais me coucher mesurant la chance d’être tombé sur une âme charitable.